Paris, France
October 5, 2010
Au cours des deux dernières décennies, la croissance des rendements du blé s’est ralentie au point de s’annuler : les rendements de blé stagnent non seulement en France mais aussi dans de nombreux pays européens. Les scientifiques de l’INRA et d’Arvalis ont testé trois causes possibles : l’amélioration génétique, les pratiques agronomiques et le climat. Leurs travaux montrent que les effets négatifs du climat se font sentir depuis 1990 et ont été renforcés par des facteurs agronomiques à partir de 1999. Cependant, le rôle du progrès génétique reste prépondérant et permet de maintenir les rendements à un niveau stable. Cette analyse vient d’être publiée dans Field Crops Research 119, 2010.
Les rendements du blé ont enregistré une hausse continue en Europe au cours de la seconde moitié du XXème siècle du fait des progrès de la génétique et de l’utilisation d’engrais et des produits de traitement des cultures. La croissance annuelle moyenne des rendements du blé était en France de 1, 2 quintal par hectare depuis 1950 environ jusqu’en 1995-96.
La stagnation de ces rendements en France depuis 1996 est très nette et cette situation se retrouve dans d’autres pays européens. Les chercheurs de l’INRA et d’Arvalis ont cherché à savoir quelles en étaient les causes. L’amélioration génétique a-t-elle des limites ? Les pratiques agronomiques, plus ou moins pilotées par des contingences socio-économiques et politiques (évolution de la PAC notamment), seraient-elles devenues extensives ? Le climat serait-il à ce point modifié qu’il limiterait les rendements ?
Le progrès génétique continue …
Analysant plus de 2500 résultats d’essais génétiques s’étalant de 1970 à aujourd’hui, les chercheurs généticiens de l’INRA montrent que le progrès génétique du rendement des variétés cultivées de blé n’a pas faibli : son impact est estimé à environ 1 quintal par hectare et par an. Notons que le progrès génétique a aussi fait progresser la résistance aux maladies et la qualité de panification.
L’importance de la culture précédente, parmi les différents facteurs agronomiques
L’analyse s’est ensuite portée sur les causes agronomiques possibles : l’utilisation d’azote, la protection contre les maladies, la culture précédente et la matière organique du sol. Un élément explicatif important apparaît avec l’étude des cultures précédentes à l’échelle nationale. En effet, après 1999, une évolution significative s’est produite avec le remplacement des légumineuses par le colza à hauteur d’environ 10%. L’effet dépressif du colza comme culture précédente sur le rendement du blé peut atteindre jusqu’à 10 quintaux par hectare. Après 1999, cet effet négatif a participé à la stagnation des rendements à hauteur d’environ 0,35 quintal par hectare et par an, selon les chercheurs. En ce qui concerne l’utilisation d’engrais azotés, on observe une augmentation des doses utilisées jusqu’en 2000, puis une baisse entre 2000 et 2007 d’environ 20 kg par hectare alors que le nombre d’applications s’est stabilisé à 3 depuis 2000. L’effet pénalisant de cette baisse de la fertilisation sur les rendements, à partir de 2000, est estimé à environ 0,15 quintal par hectare et par an. En revanche, les maladies sont mises hors de cause à partir de données issues de réseaux d’essais nationaux d’Arvalis qui d’une part montrent que la fréquence des traitements n’a pas diminué et d’autre part ne mettent pas en évidence de relation univoque entre dommages et rendements à l’échelle nationale. Trois situations, qui coexistent, ont été observées : peu de maladies et des rendements faibles, beaucoup de maladies et des rendements faibles, beaucoup de maladies et des rendements élevés. Ainsi l’hypothèse qui pourrait attribuer la stagnation des rendements à une éventuelle diminution de l’utilisation de fongicides est à rejeter.
Les cartographies évolutives de la fertilité des sols réalisées par l’INRA montrent que l’évolution de la matière organique du sol en France depuis la fin du siècle dernier est très contrastée : si certaines régions enregistrent des baisses, d’autres sont en augmentation ou stables. Ainsi, dans la région Est, la matière organique des sols est plutôt en diminution ou bien stable tandis qu’elle augmente dans le Bassin parisien. Il est donc très difficile d’en déduire que les sols se sont dégradés du fait de l’intensification agricole, ce qui aurait pu être à l’origine d’une baisse des rendements.
Au total, les facteurs agronomiques seraient responsables d’une baisse des rendements de l’ordre de 0,5 quintal par hectare et par an.
Le climat joue-t-il un rôle ?
Afin d’évaluer l’effet du climat sur les rendements, les scientifiques ont utilisé deux modèles différents, l’un mis au point par Arvalis pour étudier l’agriculture intensive, l’autre par l’INRA pour une agriculture qui suppose des intrants plus limités. Ces deux modèles indiquent une réduction des rendements à partir des années 1990 à cause du climat. Cet effet est plus marqué pour l’agriculture intensive plus sensible au climat : il serait dû aux températures plus élevées dans les zones tempérées qui affectent le remplissage des grains et à l’augmentation du déficit en eau pendant la croissance des tiges et des grains. Les chercheurs ont évalué l’impact de cet effet climatique dans une fourchette allant de 0,2 à 0,5 quintal par ha et par an.
En conclusion, les effets du climat se font sentir depuis 1990 environ. Ils ont été renforcés par les facteurs agronomiques à partir de 1999 et notamment par l’effet de la culture précédente, mais l’impact du progrès génétique reste prépondérant et permet de maintenir les rendements à un niveau stable.
Références :
Why are wheat yields stagnating in Europe ? A comprehensive data analysis for France.- Nadine Brissona, Philippe Gateb, David Gouacheb, Gilles Charmetc, François-Xavier Ouryc, Frédéric Huarda .- Field Crops Research 119 (2010) : 201-212.
a INRA AGROCLIM 84914, Avignon Cedex 9, France
b ARVALIS, Institut du Végétal, La Minière, 78280 Guyancourt, France
c INRA , UMR GDEC, 234 av du Brézet, 63 100 Clermont-Ferrand, France