France
August 9, 2024
Les semences fermières sont des semences issues de la récolte des agriculteurs, qu’ils utilisent pour créer leur propre semence pour la campagne agricole suivante. Cette pratique, largement répandue pour certaines espèces de grandes cultures, peut impliquer le paiement d’une contribution pour financer la recherche semencière. Une équipe d’INRAE, en analysant des systèmes existants dans les pays européens et en Australie, a montré que la mise en place d’une contribution sur les semences fermières permet d’améliorer le bénéfice global de tous les acteurs économiques concernés, des agriculteurs aux obtenteurs de variétés protégées. Ces résultats, publiés dans la revue American Journal of Agricultural Economics, soulignent l’importance d’une règlementation adaptée en fonction du contexte des coûts de recherche.
Pour différentes espèces de grandes cultures comme le blé, l’orge et le pois, les agriculteurs ont la possibilité d’utiliser une partie de leur récolte pour créer leur propre semence (dite semence fermière) et la semer pour l’année suivante. Cette pratique, qui concerne entre 50 et 55 % des surfaces de blé tendre en France, est avantageuse économiquement pour les agriculteurs.
Le cadre légal en France
Les semences fermières proviennent de semences certifiées protégées par un certificat d’obtention végétale (COV), le droit de propriété intellectuelle utilisé en Europe par les entreprises de sélection pour protéger les nouvelles variétés. La loi autorise les agriculteurs à ressemer une partie de leur propre récolte issue de variétés protégées pour 21 espèces (voir encadré plus bas).
Ainsi, pour les espèces protégées par le COV, les agriculteurs doivent verser une compensation à son détenteur, à l’exception des petites exploitations dont la surface permet de produire moins de 92 tonnes de céréales/an. En France, il existe un niveau de redevance unique sur les semences certifiées pour chaque espèce. De plus, un prélèvement de 1,1 € par tonne est actuellement effectué sur la livraison de blé tendre. Cette contribution, qui participe à rémunérer la recherche des semenciers, est encadrée différemment selon les pays.
Comparaison des systèmes
Afin d’évaluer les effets économiques de la mise en place d’une telle contribution, une équipe de recherche INRAE a comparé les propriétés des différents systèmes existant dans les pays européens et en Australie.
Pour ce faire, les chercheurs ont utilisé une méthode originale permettant de prendre en compte différents effets de l’arbitrage entre semences certifiées et semences fermières : sur l’efficacité de la production, tant au niveau de la production des semences que de la production agricole, sur les prix des semences, et sur les investissements en recherche. Ils ont comparé les propriétés économiques de chaque système de contribution grâce à une modélisation suffisamment générale pour représenter des situations économiques diverses (différents pays, différentes espèces cultivées, etc.).
Les bénéfices d’une règlementation adaptée
Les résultats de cette analyse indiquent que l’autorisation des semences fermières, sous réserve d’une contribution et d’un encadrement règlementaire adapté, est préférable à leur interdiction. La mise en place de cette contribution permet d’améliorer le bénéfice global des agriculteurs et semenciers. En effet, l’absence de contribution conduit à une utilisation excessive de semences fermières par les agriculteurs – une partie des semences fermières est alors produite à un coût supérieur à celui des semences certifiées, et mène à un sous-investissement en recherche.
Deux options de règlementation ressortent des analyses. La première consiste à imposer une contribution identique au niveau des redevances sur les semences certifiées, comme c’est le cas en Australie. La seconde option suppose que cette contribution soit fixée par l’État ce qui s’apparente à la pratique de certains pays européens, comme la France, le Royaume-Uni ou encore l’Espagne.
L’option australienne s’avère plus intéressante dans un contexte où les coûts de recherche sont importants, conduisant à peu d’innovation. En revanche, quand les coûts de recherche sont moindres, l’intervention de l’État pour définir le niveau de la contribution sur les semences fermières devient intéressante, car cela permet d’influencer l’effort de recherche des semenciers.
Cette étude souligne l’importance d’une règlementation adaptée en fonction du contexte des coûts de recherche. Une perspective serait d’appliquer cette analyse à d’autres cas spécifiques, afin de paramétrer le modèle en fonction de contextes précis (variations des coûts de transport, coûts économiques directs, coûts d’opportunités, etc.) et de tenir compte des contraintes liées à la collecte des contributions sur les semences fermières.
Les systèmes de droits de propriété intellectuelle mis en œuvre pour l’innovation en matière de semences
Comme dans un système de brevets, le droit d’obtenteur accorde un droit de monopole à l’innovateur. Cependant, ce droit d’obtenteur, établi par la convention de l’Union pour la protection des obtentions végétales (UPOV) de 1991, est spécifique car il accorde à la fois une exemption pour la recherche et une exemption pour les agriculteurs. Avec l’exemption pour les agriculteurs, un agriculteur peut utiliser une variété protégée comme source de matériel génétique pour créer sa propre semence, appelée semence de ferme ou semence fermière. Pour la recherche, un sélectionneur peut utiliser une variété protégée comme source de matériel génétique dans son programme de sélection sans l’autorisation de l’obtenteur de cette variété.
RÉFÉRENCE
Hervouet A., Lemarié S. (2024). Farm-saved seed, royalty rates and innovation in plant breeding. American Journal of Agricultural Economics, DOI : https://doi.org/10.1111/ajae.12489