France
June 24, 2016
Pour nourrir de façon saine et durable la population mondiale, qui pourrait atteindre 9,7 milliards en 2050, une double adaptation, des régimes alimentaires, d’une part, et des systèmes de production agricole, d’autre part, est nécessaire. Dans cette perspective, une équipe de scientifiques du Cirad et de l’Inra, appuyée par de nombreux experts internationaux, a élaboré et simulé différents scénarios d’évolution des systèmes agricoles et alimentaires, ainsi que d’utilisations des terres, pour en mesurer les effets sur la sécurité alimentaire mondiale. Les résultats de cette prospective, intitulée Agrimonde-Terra et présentée le 24 juin 2016 à Paris, pointent qu’une gouvernance mondiale forte est nécessaire pour assurer une alimentation saine, suffisante et de manière durable. Cette gouvernance ne saurait se limiter aux seules dimensions agricoles et devra inclure, notamment, les aspects relatifs aux transitions alimentaires, nutritionnelles, énergétiques et agro-écologiques.
Faisant suite à la première prospective Agrimonde diffusée en 20101, ce second volet, Agrimonde-Terra, a cherché à affiner les scénarios d’évolution des systèmes alimentaires en se centrant plus particulièrement sur les disponibilités en terres et les déterminants des usages des sols. Une chose est sûre, il ne sera pas facile de nourrir de façon durable et saine tous les habitants de la planète sans étendre les surfaces dédiées à l’agriculture et donc, en respectant simultanément des objectifs d’atténuation du changement climatique et de protection de l’environnement. Partant de deux scénarios aux conséquences extrêmes, l’un centré sur les effets de la « métropolisation », l’autre sur la « fragmentation », impliquant le repli sur elles-mêmes des communautés rurales, la prospective propose trois scénarios alternatifs impliquant des ruptures fortes, plus ou moins durables selon les grandes régions du monde.
Le premier des deux scénarios aux conséquences extrêmes consisterait à voir les populations s’urbaniser de plus en plus et consommer davantage de produits animaux et/ou transformés. Le second se traduirait par une baisse plus ou moins prononcée de la productivité agricole et conduirait à un accroissement de l’insécurité alimentaire et de la sous-nutrition dans certaines régions du monde, et ce en dépit d’une extension des terres agricoles.
Pour tenter de combiner les contraintes en terres et la limitation de la déforestation avec l’obtention de diètes suffisantes et saines, trois voies alternatives sont explorées. La première s’appuie sur l’adoption de régimes alimentaires « sains » pour tous les habitants de la planète. A l’échelle de la planète, ce scénario impliquerait une consommation accrue de céréales, de légumineuses, de fruits et de légumes, et une limitation des produits animaux et ultra-transformés. Cette voie, potentiellement la plus durable, nécessiterait néanmoins des politiques nutritionnelles fortes et concertées au niveau mondial, ainsi que des politiques agricoles permettant de garantir une certaine intensification (durable) des productions végétales et animales. Une seconde option explorée vise à une plus grande « régionalisation » des systèmes alimentaires, favorisant le développement simultané d’une alimentation suffisante à partir de structures traditionnelles de consommation et d’une agriculture régionale répondant au mieux à cette demande alimentaire locale. Tout en nécessitant la mise en place d’accords commerciaux régionaux, ce scénario requiert aussi une adaptation importante des agricultures du monde. Outre une pression accrue sur les terres agricoles, ce deuxième scénario de rupture ouvre, en outre, une voie étroite pour des régions comme l’Inde, l’Afrique du Nord – Moyen-Orient et l’Afrique sub-saharienne qui auront encore besoin d’importer une partie non négligeable de leur alimentation. Enfin, l’idée de faire reposer la sécurité alimentaire mondiale sur des ménages pluriactifs et développant des activités de transformation en zone rurale est analysée. Les effets de ce troisième scénario de rupture, dit « des ménages », sont proches de ceux de la « régionalisation » avec une moindre pression sur les ressources en terres dans certaines régions.
Globalement, l’étude montre que, pour fournir une alimentation saine, en quantité suffisante et produite de façon durable aux habitants de la planète, tout en limitant le réchauffement climatique et en s’appuyant sur des usages variés des terres, il faudrait mettre en place dès maintenant des politiques nutritionnelles, foncières, environnementales, agricoles, industrielles et commerciales volontaristes et concertées au niveau mondial. Quelle que soit la voie choisie, des régions comme l’Afrique du Nord, le Moyen-Orient, l’ensemble de l’Afrique sub-saharienne ou l’Inde auront du mal à s’adapter en raison de leur situation nutritionnelle et agricole actuelle, de leurs perspectives démographiques et/ou de leur forte dépendance aux importations agricoles.
Par ailleurs, Agrimonde-Terra pourra faciliter le dialogue entre les différents acteurs responsables de l’utilisation des terres et de la sécurité alimentaire d’un pays ou d’une région, comme a pu le montrer son emploi en Tunisie lors d’un atelier de prospective. En quelques jours, des scénarios d’usage des terres pour la Tunisie ont pu être construits par les acteurs locaux.
1Paillard S., Treyer S. et Dorin B. (coordinators), 2010. Agrimonde: Scénarios et défis pour nourrir le monde en 2050. Paris: Quae. http://www.cirad.fr/content/download/3796/30410/version/7/file/1209SyntheseAgrimonde.pdf ou http://institut.inra.fr/Missions/Eclairer-les-decisions/Prospectives/Toutes-les-actualites/Prospective-Agrimonde
Télécharger les documents de la prospective Agrimonde-Terra