November 23, 2017
Karminalucis Récolte du soja - © Fotofolia
En Argentine, la culture du soja transgénique se présente comme un succès économique. Elle a pourtant des impacts importants sur la société argentine, mis en lumière par une nouvelle étude ethnographique et économique.
A première vue, la culture du soja transgénique en Argentine, troisième producteur mondial de cette céréale a tous les ingrédients d’une success story. Il a envahi les terres du pays en une vingtaine d’années : de 6 millions d’hectares en 1995, il est aujourd’hui cultivé sur environ 20 millions d’hectares. Deux enquêtes, ethnographique et quantitative, menées dans deux régions de la pampa argentine (1) et un colloque récemment organisé à l’Alliance française de Buenos Aires mettent pourtant en lumière les impacts environnementaux et sociaux de cette "sojatizacion" du pays.
"Ce « pack technologique » spécifique au soja transgénique, associant une semence génétiquement modifiée et un herbicide, a été adopté massivement sans un vrai débat de société sur ses effets sur l’environnement, explique l’anthropologue Valéria Hernandez. Son coût est identique à celui d’une semence traditionnelle, contrairement à d’autres pays. La législation argentine ne reconnaît pas en effet le brevetage lié aux améliorations transgéniques. Or, cette monoculture de soja modifié appauvrit les sols à long terme. L’utilisation massive de l’herbicide glyphosate entraîne la mise à mal de la biodiversité et l’apparition d’espèces résistantes de plus en plus difficiles à combattre. Enfin, des superficies très importantes de forêt ont disparu."
Un agrobusiness à court terme
En termes économiques, la massification de la culture du soja transgénique a généré une diminution des emplois d’ouvriers agricoles, qui ont été remplacés par les technologies de semis direct associées au "paquet soja-herbicide". L’usage de machines perfectionnées s’est également accéléré : avec cette "agriculture de précision", les parcelles sont surveillées par des dispositifs virtuels informatisés et téléguidés par GPS, laissant la place à une expertise très ponctuelle, lors de certains moments clés de la campagne agricole, au détriment d’une main d’œuvre peu qualifiée. La concentration foncière s’est accrue au profit des entrepreneurs qui savent gérer la complexité des logiques financières, commerciales et managériales à l’échelle globale.
"Grâce aux enquêtes menées conjointement avec Pascale Phelinas, économiste au CESSMA, en dialogue avec les enquêtes ethnographiques que j’ai conduits en partenariat avec Carla Gras, sociologue argentine, nous avons observé comment l’agrobusiness a progressivement remplacé l’agriculture familiale, poursuit la chercheuse. Les entrepreneurs locaux, associés à des professionnels citadins et à des hommes d’affaires étrangers qui investissent dans ces projets productifs, louent à grande échelle les terres les plus rentables à court terme, un an ou deux. Ce contrôle leur offre une grande flexibilité et ils rationalisent la production grâce au semis direct et à l’épandage par avion d’herbicides auquel le soja est résistant. Ils ne prêtent pas attention aux conséquences à long terme de ces pratiques."
Revenir à une agriculture familiale
A contrario, les petits et moyens propriétaires locaux ainsi que les populations rurales, attachés à leur territoire, remettent en cause cette agriculture. Ils souffrent des impacts de ces usages et, appuyés par les acteurs politiques de leur région, souhaitent revenir à une production agro-écologique, plus respectueuse de l’environnement.
Deux projets de coopération scientifique multidisciplinaires auxquels l’IRD participe ( IDAE et CLIMAX) associant des partenaires scientifiques européens et latino-américains accompagnent ces initiatives. "L’objectif est d’élaborer un réseau de gestion territoriale de la production et de la commercialisation des produits agroécologiques, indique Valéria Hernandez. Avec Pascale Phelinas, nous travaillons avec nos partenaires locaux également sur l’adaptation au changement climatique avec la mise en place de services climatiques à disposition des petits propriétaires, soit des pronostics météorologiques adaptés à leurs besoins. Nous étudions enfin dans quelle mesure ces phases de transition peuvent répondre à cette crise et permettre aux agriculteurs de continuer à vivre de leur production."
Note
(1) V. Hernandez, P. Phélinas. Enjeux et impact économique et social de la production de soja transgénique en Argentine, Revue française de socio-économie, 2017 ; Hernández V., Moron V., Fossa Riglos F., and Muzi E. Confronting farmer's perceptions of climatic vulnerability with observed relationship between yields and climate variability in Central Argentina.Weather Climate and Society,2015 ; Gras C. and Hernández V. Agribusiness and large-scale farming: capitalist globalisation in Argentine agriculture,Canadian Journal of Development Studies, 2014.